Au cœur du Nebraska – présentations faites avec le ranch familial, la ferme attenante, le bureau aux livres anciens et la réserve de cognac –, Dalva revient sur les traces de son enfance sauvage en compagnie de Michael, professeur ès cultures amérindiennes, le laissant enquêter sur l'histoire de son arrière-grand-père pour sa thèse.
Dans cette deuxième partie du roman à la première personne, Michael succède à Dalva dans la narration, s'attardant à parcourir le journal intime de l'aïeul et à assouvir ses vices les plus primaires pour cet homme aussi névrotique qu'érudit ; à savoir trouver un endroit approprié pour faire l'amour et mettre la main sur de l'alcool. Car c'est tout le paradoxe de ce roman : le récit d'une femme indépendante, aux besoins sexuels grandissants, qui peine à se remettre de l'abandon de son fils lorsqu'elle avait 16 ans et la mort de tous les hommes de sa vie ; son père, son grand-père, son amour de jeunesse… Les hommes ont un destin tragique ou se révèlent être d'une fiabilité discutable.
La soeur de Dalva est divorcée d'un mari devenu homosexuel sur le tard, sa mère est veuve de guerre, son grand-père a tiré profit d'une grosse fortune héritée indirectement du génocide des Premières Nations. Michael n'échappe pas à la règle : lui qui se rêve en amant insatiable dépasse rarement le stade des ébats fortuits, quand il n'est pas trop ivre pour tenir la cadence. Un écho à l'enquête qui ne démarre jamais pour retrouver le fils de la descendante Sioux, monnayée auprès de Michael en échange d'un droit d'accès au récit de sa famille pour mener à bien sa thèse. Sa fidélité est tout aussi relative que son sevrage à l'alcool ; il écume les bars du village comme il succombe à une jeune étudiante aguicheuse.
En somme, Dalva nous livre un portrait pathétique des hommes et nous rappelle leur fragilité, surtout en comparaison avec le personnage principal. Un passage du roman souligné par Jim Harrison résume parfaitement le genre masculin : « Michael s'est mis à préparer une sauce secrète pour le barbecue, le genre de recette dont les hommes sont volontiers fiers même si le résultat est souvent tout à fait anodin. »
Lorsque Dalva conduit Michael dans la demeure familiale, elle le loge dans la cabane de son grand-père pour qu'il puisse mener à bien ses recherches. Résignée à revenir sur "sa terre" où le passé ne cesse de refaire surface, elle n'a qu'un mot d'ordre pour le séjour qui les attend : pas de batifolage dans la maison. C'est évidemment le premier obstacle que Michael tentera de surmonter, bien avant ses recherches ou son sevrage. C'est également là que la femme va tenter de revigorer le quadragénaire en détresse en commençant par restreindre sa dose quotidienne d'alcool et de le nourrir.
"J'ai entendu un croassement qui, selon Dalva, était celui d'un faisan mâle. Comme les coqs, ces volatiles annoncent le jour – voilà bien une conduite de mâle : annoncer l'évidence."
Son premier plat est assez rustique ; un morceau de boeuf de premier choix grillé avec une sauce aux morilles et des poireaux sauvages du Michigan. Pour couronner le tout, elle lui serre un seul verre de vin mais dans un ballon géant : le genre de verre sur pied démesuré ramené du Texas. Même lorsqu'il parle de sevrage, Jim Harrison reste maître du dosage. Notre héroïne devine bien le combat perdu que se livrent les hommes contre eux-mêmes, à l'effigie de ces traités de paix entre tribus et colons qui sont une façade à un génocide puis un déplacement du reste de la population autochtone ; de la conversion au christianisme, à l'alcool et aux armes à feu par les "dernières nations". Son arrière-grand-père, Northridge lui-même, n'est pas exempt de défauts : il tourne le dos au clergé, procrée avec une Sioux, tout comme fera son petit-fils (le père de Dalva). Chaque graine semée par l'homme portera un fruit pourri qui menacera les femmes prêtes à le croquer.
Dans sa quête de retour à la nature, Dalva nous dépeint le portrait d'une femme sauvage dans ce chapitre, à l'instar de sa baignade nocturne où, avant de se donner, elle poussera un hurlement à l'attention des coyotes, comme pour marquer son règne sur ce territoire hostile après des années à arpenter les rues de Los Angeles. C'est encore un signe qui marquera la rupture avec Michael qui se retrouve pétrifié à l'écoute de ce cri viscéral, ignorant que Dalva a déjà répété ce rituel avec le père de son fil, l'indien de sa jeunesse, avant que celui-ci ne disparaisse à jamais dans le torrent d'une rivière.
Abordons ce plat rustique et sauvage comme l'aurait fait Northridge, son arrière-grand-père : une pièce de boeuf grillé sur le feu, des poireaux, un mijoté de morilles ; de quoi attiser l'instinct primitif qui nous habite et nous relie à la Terre nourricière.
Liste d’ingrédients (pour 2 personnes)
La viande
500g de filet de boeuf type Black Angus
Légume et accompagnements
300g de poireaux sauvages
Vinaigre de vin
Moutarde
Ail, oignons, échalotes et ciboule
Sel, poivre, huile d'olive
La sauce
20g de morilles séchées
10cl crème fraîche liquide
25g de beurre doux
10cl de bouillon de veau
2 échalotes
1 citron jaune
1 CAS de cognac
Sortez la viande pour la laisser à température ambiante. Saupoudrez de gros sel et laissez reposer environ 30 minutes, le temps de lancer les poireaux et amorcer la sauce. Il faudra également préparer votre grill. Pour un grill type barbecue à charbon, préparez vos braises et répartir sur un seul côté pour une cuisson indirecte. Pour un barbecue à gaz, il faudra cuire à côté du bruleur. Enfin pour un électrique, il faudra prévoir un emballage aluminium pour une cuisson en papillote.
Commencez par nettoyer plusieurs fois vos poireaux sauvages. Détaillez-les en coupant les feuilles mortes et les racines pour garder une forme homogène.
Dans une cocotte ou une sauteuse avec couvercle, faites les revenir avec de l'huile d'olive à feu moyen et à couvert. Ils doivent être fondants sans se déliter. Pendant ce temps, remplissez un bol d'eau chaude (20cl) et faites tremper les morilles.
Réalisez pendant ce temps une petite vinaigrette : hachez une échalote, l'ail, un petit oignon et la ciboule puis mélangez dans un bol avec une CAC de vinaigre de vin et 2 CAC de moutarde (type Dijon). Ajoutez ensuite 2 CAS d'huile d'olive et mélangez jusqu'à obtenir une sauce onctueuse. Salez et poivrez à votre convenance.
Lorsque les poireaux sont cuits, réservez-les dans une passoire pour qu'ils puissent bien s'égoutter.
Passez à la préparation de la viande. Votre grill est à température (braises chaudes sans flammes, ou un seul bruleur activé, ou une plaque à 70% de la chaleur max). L'idée est de saisir la viande sur toutes les faces sur la partie la plus chaude du grill. Il faut une belle coloration uniforme, ce qu'on appelle "marquer" la viande. Pour cela, ajouter un filet d'huile d'olive sur la viande et massez bien pour imprégner la chaire. Déposer ensuite le filet en travers de la grille de cuisson. Saisir environ 2min par face.
Déposez ensuite le filet sur la partie la plus froide du grill : à l'opposé du charbon, ou à côté du bruleur. Refermez le couvercle et ajustez pour une température basse cuisson : environ 60° pendant 20 minutes, avec un aller retour. Pour un grill électrique, baisser à température moyenne et enveloppez votre viande dans du papier d'aluminium, puis déposez sur la plaque.
Pendant que la viande cuit, égouttez les morilles et lancez le bouillon de veau (10cl suffisent pour la préparation). Émincez les échalotes ainsi que la moitié des morilles. Dans une casserole, faites fondre le beurre à feu doux et ajouter les échalotes. Les faire suer 10 minutes. Ajouter les morilles entières et hachées, faites revenir, et versez le cognac. Flambez à l'aide d'une allumette puis recouvrez avec le bouillon de veau. Une fois réduit, ajoutez la crème et laisser encore réduire de moitié. Pressez le citron et ajoutez le jus à la préparation, salez et poivrez à votre convenance puis réservez.
Vérifiez régulièrement la cuisson de la viande et ne laissez pas le grill monter trop en température. Au toucher, la viande doit être souple. Vous pouvez utiliser la technique du pouce, mais je préconise une cuisson saignante.
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La viande est prête ? Vous pouvez faire griller vos poireaux si votre grille n'est pas trop espacée ou si vous disposez d'une plaque type plancha. Sur une grande planche, découpez de larges tranches dans le filet et salez de nouveau avec du gros sel. Poivrez à votre convenance. Mélangez les poireaux avec la vinaigrette et ajouter une portion dans chaque assiette. Faites réchauffer la sauce dans une saucière et servez à côté.
Je vous suggère d'accompagner le plat d'un Cabernet Sauvignon de la Napa Valley ou un Syrah. Je vous déconseille de succomber à un Bandol que l'écrivain affectionnait tant, ce vin rouge étant plus adapté aux viandes blanches et petits gibiers. Cependant, pas de contre indication à vous baigner en rivière après diner, tant que le courant n'est pas trop fort et qu'une meute de coyotes ne vous attende pas de l'autre côté de la rive.
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